1. Communiquez d’une façon claire et cohérente : prouvez votre engagement par votre comportement ; le refus de participer ou de continuer doit être, lui aussi, bien clair.

Les loups ont plusieurs modes de communication dont le plus connu est sans doute le hurlement. Présent dans des contes populaires, les mythes et légendes les plus anciens, à travers toutes les cultures de l’hémisphère nord sans exception, faisant partie incontournable des récits de trappeurs, éleveurs et peuples nomades, ce phénomène vocal attire l’attention particulière des humains depuis des siècles. Littéralement « supprimé » chez le chien lors du processus de domestication (sauf chez certaines races dites primitives), ce comportement non souhaité et surtout agaçant est lié chez l’humain à une sensation de perte de contrôle du monde extérieur, la non-maîtrise de l’environnement et autres peurs inconditionnelles.

Aujourd’hui, la communication animale est devenue avant tout un vaste domaine de recherches scientifiques croisant des observations éthologiques, des réflexions philosophiques, des hypothèses sémiotiques et beaucoup d’autres champs de questionnement. La zoosémiotique, une nouvelle branche interdisciplinaire, y est entièrement dédiée. Concernant les hurlements, bien que de nombreuses recherches acoustiques très pointues ont été réalisées lors de ces dernières décennies, nous n’avons toujours pas la moindre idée concernant le contenu transmis d’un individu à l’autre, d’une meute à une autre meute. Autrement parlant, nous ne sommes pas capables de distinguer des séquences acoustiques pour leur attribuer des valeurs sémantiques (même constat concernant les dauphins, les singes etc). Nous pouvons seulement constater, du point de vue statistique, dans quelles circonstances les hurlements sont émis (plus ou moins souvent) et observer quel impact ils ont (ou pas) sur le comportement qui les suit.

Par exemple, il a été constaté que le hurlement permet aux loups de géolocaliser soit leurs proches (sa propre meute), soit les étrangers (une autre meute). Farley Mowat dans son fabuleux livre « Never Cry Wolf » publié au Canada en 1963 (« Mes amis les loups », en version française, 1999) raconte que les mouvements de proies potentielles (caribous) peuvent être codés dans les hurlements (pas prouvé scientifiquement). Les études les plus récentes indiquent que les meutes hurlent plus lorsqu’elles s’agrandissent (présence de petits de cette année) et/ou quand elles possèdent de grandes ressources alimentaires (gros gibier tué récemment). Le hurlement peut remplacer aussi le marquage du territoire lorsque les marques olfactives ont vieilli en raison d’une longue absence dans un endroit particulier.

Au milieu de l’hiver, les meutes ayant des reproducteurs (mâles et femelles) hurlent plus souvent. Au milieu de l’été, les meutes ayant une portée hurlent aussi plus souvent. À l’automne, les meutes où les petits se développent plus vite, hurlent moins. De nombreuses informations sont donc transmises par ce genre de vocalises (quand bien-même la transmission d’informations ne soit pas intentionnelle).

Les chercheurs ont observé que plus il y a d’échanges de hurlements entre deux meutes, moins il y a de probabilité qu’un conflit physique territorial éclate entre elles.

Au sein de la meute, le hurlement permet de rassembler les jeunes auprès de leurs parents ou se localiser en cas d’éloignement. Les loups hurlent souvent lorsqu’ils sont seuls. Au Wolf Science Center (en Autriche), les chercheurs ont observé que la meute hurle plus quand le loup qui part en promenade avec un soigneur, a un rang social élevé. Il a été noté également que les loups hurlent plus quand le congénère qui part en balade est celui avec qui ils ont une meilleure relation sociale.

Un phénomène très intéressant est la fusion de sons émis individuellement dans un hurlement commun, le « chorus ». Les loups commencent à hurler, et progressivement une convergence des fréquences individuelles s’installe. Il est observé que plus il y a de la distance (physique) entre les loups, plus le chœur est harmonieux. Phénomène intéressant à exploiter en teambuilding.

Contrairement aux croyances, les loups aboient. C’est un comportement rare chez les adultes en dehors d’un danger imminent. En aboyant les loups indiquent à leurs congénères leur peur par exemple de l’arrivée d’une autre meute sur le territoire du groupe. En revanche, les loups n’aboient pas ensemble comme les chiens, cela n’a aucun sens : ce comportement est lié à une inquiétude individuelle.

Les loups émettent un grand nombre de vocalisations : ils gémissent, glapissent, grognent… Chaque son a son résultat : par exemple, les gémissements, vocalisations associées aux comportements de soin aux jeunes, inhibent l’agression entre les membres de la meute (même s’il s’agit des adultes).

Il existe bien sûr d’autres moyens de communication.

  • Communication olfactive : Seuls les couples reproducteurs (« alpha ») ou presque laissent des marques olfactives aux endroits clés du territoire occupé par la meute. Autrement dit, tout loup étranger passant devant une telle marque laissée dans un droit stratégique, doit se dire : « euh … je dois partir d’ici et vite », car le message laissé est très clair : « le territoire est occupé, on se reproduit ». Une consigne de sécurité… ?

 

  • Communication visuelle. Nous connaissons tous le langage des chiens. De nombreuses personnes savent, que si le chien montre les dents, il est susceptible de mordre. S’il remue la queue, très probablement, il est content de nous voir. Avec les loups, tout est beaucoup plus expressif. Si un jour vous observez des expressions de dominance / soumission chez les loups, vous comprendrez que les chiens n’en sont qu’une pâle copie. Leurs mimiques faciales sont extrêmement fines et sans ambiguïté, les postures des oreilles, la queue et de tout le corps ont un sens. Les loups de ce fait peuvent communiquer une énorme quantité d’informations à leurs congénères et tout le temps.

La soumission, dans la nature, est rarement obtenue par la force. Dans la plupart des cas elle est « offerte », car si vous ne dites pas clairement à celui qui a plus de pouvoir « oui, j’ai compris ton message, c’est toi le chef », il continue à vous charger, jusqu’à vous écraser.

Il existe deux types de soumission : active et passive. En soumission active, le loup s’accroupit, la queue entre les pattes, les oreilles aplaties, les lèvres étirées en un « sourire ». Dans cette position, il s’approche du loup d’un rang supérieur, pousse son museau avec son nez, le lèche rapidement. Il peut également étendre ses pattes avant comme s’il essayait de toucher son congénère. La soumission active est un rituel que tous les membres de la meute exécutent pour saluer le chef. En soumission passive, le loup tombe sur le côté ou même sur le dos, en exposant son ventre et ses parties génitales, et inhibe ainsi une agression potentielle du congénère.

Il est intéressant de noter que plus le chef est tolérant et amical, plus la soumission est active. Plus il se comporte menaçant, plus elle est passive.

En quoi le modèle de communication du loup pourrait nous servir ? Tout d’abord, elle est sans ambiguïté : « oui » c’est « oui », « non » c’est « non ». « Je ne sais pas, on verra plus tard » – cela n’existe pas chez les loups, c’est un « privilège » humain.

Ensuite, la communication est personnalisée et prend en compte à la fois le contexte et le tempérament non seulement du côté « émetteur », mais aussi du côté « récepteur ». Elle est de plus basée sur des comportements : « Je te le montre chaque jour que je t’accepte en tant que leader, à travers mon comportement et devant les témoins ». Le chef perçu comme amical bénéficie des démonstrations de loyauté plus actives des membres de sa meute. Cette observation pourrait nous être utile pour voir notre comportement de leader en fonction des réactions de nos collaborateurs, conjoints, enfants.  Cela permet aussi d’analyser notre propre attitude envers le leader : plus on communique avec le chef, plus on est en confiance, émotionnellement parlant.

Le chant « choral » contribue à consolider le groupe. Les loups s’adaptent, dans leur communication vocale, les uns aux autres, tous, sans exception. Ils émettent un son uni, harmonieux, sans crainte ni angoisse d’être entendus par leur entourage : humains, congénères, proies… Nous sommes là, nous sommes une meute, tel est le message commun et partagé par tous les membres sans exception. Une communication commune et agréable de tous les jours ayant sens pour la communauté.

Les loups savent dire « non » lorsqu’il s’agit d’un territoire et d’importantes ressources personnelles. « Tu as dépassé les bornes, ou tu risques de les franchir maintenant ». Il s’agit d’une « agression ritualisée » ayant comme objectif la mise à distance de l’autre, car pour établir et maintenir des distances confortables il faut savoir dire « non » d’une façon très claire.

Les loups communiquent tout le temps, et leur langage, même si son contenu n’est pas accessible pour nous, parait extrêmement clair pour les congénères. Cela permet d’éviter des dépenses d’énergie inutiles, ainsi que des blessures ou des morts au sein de la meute. Pour nos amis les chiens, ce n’est pas souvent le cas : si le chien n’arrive pas à communiquer clairement, ni à comprendre le « message » qui lui a été transmis, il réagit souvent par l’agression dont la morsure fait partie.

Nous, les humains, communiquons souvent l’inverse de ce que nous voulons dire vraiment. Par peur, inquiétude, angoisse pour notre futur, car il représente pour nous quelque chose de très important, souvent beaucoup plus important que le présent. Les loups vivent dans le présent, ils ne trichent pas car le bénéfice de la triche se situe toujours dans le futur, et c’est pour cela que leur communication est si limpide. Oui, il existe le « poker howl » chez les loups, mais il ne concerne que des rencontres avec des étrangers dont ils ne savent pas à quoi s’attendre, donc ils transmettent moins d’informations possibles.

Nous sommes souvent enclins de dire « oui », car nous pensons que ça nous aidera à maintenir nos liens sociaux, même au détriment de nous-mêmes, nos biens, notre temps, nos autres ressources. Dire « non » signifie prendre le risque de la solitude, de se sentir mal et de craindre de ne plus être aimé, de perdre sa position sociale, son travail, son argent, et tout cela dans le futur. Entendre « non » est aussi désagréable que de le dire. Beaucoup d’entre nous en ont tellement peur qu’on ne demande plus rien à personne. Parce que « Non. Point » – ne provoque que des émotions négatives : tristesse, colère, culpabilité… Mais « Non, parce que… » ouvre une opportunité de dialogue accompagné par l’acceptation, l’empathie, la sympathie. Par conséquent, apprendre à dire et à entendre « non » est d’autant plus vital : car cela nous libère de la peur de ne pas être accepté. « On verra ça plus tard » est une manipulation qui permet de garder le contrôle sur l’Autre, de se donner du temps afin de décider où placer ses réponses sur l’échiquier de notre vie. Certains d’entre nous finissent par penser que la vie n’est qu’un énorme échiquier et le but ultime est de gagner sa partie…

Et c’est dommage que l’on ne puisse pas tout simplement marquer notre territoire en laissant une odeur ou chanter ensemble avec notre meute pour informer tous les autres que vous NE DEVEZ PAS DEPASSER LES BORNES !

Wolf Project, 2020

Image : Angela Carter