8. Observez. Les informations les plus importantes ne sont pas celles qui vous sautent aux yeux. Observez et analysez, même si ça demande une remise en question de votre perception du monde.
Faire attention aux indices importants de l’environnement paraît évident dans n’importe quel contexte de vie surtout s’il s’agit de la survie. Deux questions se posent : voyons-nous vraiment des indices importants et, si nous les voyons, les prenons-nous en compte comme étant vraiment importants.
Avec l’environnement « physique », c’est plus ou moins clair : si vous regardez votre téléphone en traversant le passage piéton et vous ne remarquez pas qu’une voiture arrive dans votre direction, vous êtes mort. Le loup qui ne sent pas la présence d’un chasseur aux abords d’une clairière est tout aussi mort que vous. Tous les deux, vous n’avez pas vu la chose qui vous a ensuite tué.
Il est courant d’entendre dire que les loups sont peureux. Ce n’est pas vrai : ils « scannent » constamment l’environnement, à la recherche de ce qui peut leur causer des dommages irréparables. La prise immédiate de distance, le savoir rester immobile donc invisible derrière le feuillage, aucune prise de risque inutile, y compris pendant la chasse : tout cela c’est le loup.
Lorsqu’une meute part pour la chasse, elle localise d’abord sa future proie, scrutant le paysage à l’aide d’un large angle de vision latérale (250° contre 180° chez l’homme), d’oreilles agiles et sensibles (40 kHz contre 20 kHz chez l’homme) et d’odorat puissant (270 m contre le vent). Une fois que la proie est localisée, la chasse commence. Voici son déroulement typique.
Si la meute a détecté un troupeau relativement « stationnaire », comme des élans, les loups s’en approchent assez lentement. En règle générale, ils ne se faufilent pas vers leur proie et ne ciblent pas un individu en particulier avant que le troupeau ne soit en mouvement. C’est une différence fondamentale entre le comportement des loups et celui d’autres grands prédateurs, comme les lions ou les tigres.
Les élans commencent à courir et se divisent en groupes allant dans des directions différentes. Les loups se divisent également et poursuivent ainsi le plus grand nombre possible de proies potentielles. C’est à ce stade-là que les loups peuvent identifier l’individu le plus faible. Ils poursuivent les animaux jusqu’à l’épuisement, ce qui pousse un élan le plus faible à commettre une erreur fatale (trébucher ou tout simplement courir moins vite que le troupeau).
D. Mech écrit que les loups sont capables de rester en embuscade pendant des heures et d’attendre que la situation change en leur faveur. Dans son article « Possible use of foresight, understanding, and planning by wolves hunting muskoxen » (2007), il s’agit des bœufs musqués, une proie très grande et dangereuse. Mech a personnellement observé les stratégies comportementales complexes propres aux loups : se diviser en sous-groupes et ainsi mieux attaquer le troupeau, utiliser les détails du comportement de la proie et prendre des décisions sur la direction de leur propre déplacement etc.
En d’autres termes, les loups ont une capacité innée à évaluer instantanément l’environnement et à l’utiliser ce qui leur permet d’atteindre leurs propres objectifs. L’apprentissage est aussi instantané. Si la proie s’est retrouvée coincée dans des buissons (ce qui a permis, pour une fois, de la tuer plus rapidement), il est fort probable que les loups essaieront de l’y conduire à nouveau lors de la prochaine chasse (données de J. Badridze, éthologiste russe qui a suivi une meute des loups dans un parc naturel géorgien pendant 2 ans). Même les chiens-loups domestiques ont hérité cette capacité : selon de nombreux témoignages de leurs propriétaires, les portes et les tiroirs doivent être fermés à clé, et le frigo ne doit pas avoir de poignée…
Les loups évaluent simultanément un très grand nombre de paramètres, apprennent instantanément et savent utiliser l’environnement à leur avantage. Quel est le rapport avec nous ? Loin de chercher des indices importants dans notre environnement dont nous avons besoin pour faire avancer nos projets (y compris personnels), nous y accordons très peu d’attention nécessaire même pour la survie. Par exemple, depuis environ 15 ans, on observe une augmentation constante des accidents graves survenues dans des parcs nationaux : certains visiteurs s’approchent trop près des animaux sauvages en liberté et se font attaquer, mordre ou tuer. Même des randonneurs s’aventurant dans des prés, y rencontrent des taureaux et se font également attaquer.
Pourtant, la connaissance des indices importants et des dangers en général ne vient pas de soi, elle s’apprend dans l’enfance et dure toute la vie de l’individu. On n’est pas conscient du danger parce qu’on n’a pas appris que c’est un danger. On n’est pas conscient que l’indice soit important quand on n’a pas appris quels indices le sont. On ne saisit pas l’opportunité parce qu’on ne la perçoit pas comme telle : nos parents ne nous ont pas appris à saisir les opportunités.
L’observation est un outil d’apprentissage puissant. Faisant partie d’un ou de nombreux systèmes – famille, équipe, entreprise, – nous devons être conscients de la façon dont chaque membre de ce système se comporte, de son niveau d’énergie, d’engagement, d’implication dans l’objectif commun et partagé. Le sens d’observation développé permettra de remarquer les changements qui surviennent dans l’environnement, de voir (enfin) la réalité, de ne plus se tromper sur les motivations et l’engagement des personnes de votre entourage.
Si les loups pouvaient parler, ils diraient que pour développer le sens d’observation :
- Il faut être ouvert :
- Vous pouvez observer quelque chose d’utile chez n’importe quelle personne qui se trouve dans votre entourage. Même la personne la plus antipathique pourrait vous enseigner plein de choses. Il faut juste rester ouvert pour continuer à observer calmement son comportement même si cela ne vous fait pas plaisir.
- Il faut être intentionnel :
- Concentrez-vous sur votre objectif pour trouver ce que vous recherchez. Quels sont les spécialistes qui peuvent vous apporter des réponses ? Qui vous aidera à éviter les erreurs ?
- Il faut chercher !
- Soyez attentif, gardez les yeux ouverts et remarquez ce que les autres font, qu’est-ce qu’ils communiquent et comment.
- Il faut être « multisensoriel » :
- La véritable observation implique tous les canaux disponibles pour analyser les messages que votre entourage vous envoie : chaque message contient une intention, chaque intention contient un objectif. Intonations, gestes, postures, expressions du visage, manifestations physiologiques (rougeurs, sueurs), les tenues vestimentaires, la façon de se maquiller et de se coiffer etc. peuvent complètement changer le sens du message que vous êtes en train de recevoir.
- Ne bougez pas !
- Pour apprendre à observer, il faut savoir s’arrêter. Restez immobile comme les loups derrière le feuillage, sinon, vous passerez à côté de beaucoup de choses. Arrêtez de regarder votre téléphone, de parler, de chercher les infos sans cesse. Observez « ici et maintenant ». Eteignez votre télé.
- Soyez conscient de vos « filtres » :
- Autrement dit des « biais cognitifs ». Souvent, nous devons changer nos filtres pour pouvoir voir ou entendre les informations importantes, car notre cerveau traite les informations « entrantes » (de même que les réponses « sortantes ») en fonction de nos croyances, notre éducation, notre personnalité etc. La prise de conscience de ses propres « filtres » vous permettra de mieux voir, entendre, « sentir » les autres.
Louis Pasteur avait raison : dans les champs de l’observation, le hasard ne favorise que les esprits préparés. Avant d’agir, on « scanne » l’environnement, en cherchant tout ce qui est pertinent. On prend notre temps, on attend. La rapidité est-elle efficace ? Parfois oui, mais souvent non, car ce qui nous fait agir vite c’est surtout l’anxiété qui nous envahit. Apprenez à séparer l’urgence réelle de l’anxiété, à observer et à analyser, à rester immobile.
Quant au comportement des personnes qui nous entourent, il contient une mine d’informations. Pour pouvoir l’analyser, il suffit d’éteindre le « son » et de laisser seulement le contexte et les émotions que vous vivez avec ces personnes. Et vous allez comprendre assez vite à qui vous pouvez faire confiance…
Wolf Project, 2021
Image : Jim Brandenburg, Brother Wolf