6. Prenez soin des autres quand ils en ont besoin : si l’on veut que la meute perdure, il faut en prendre soin.
C’est un choix comportemental qui se démontre par des actes, et non par des paroles.
Les loups et la solidarité sociale
Adolph Murie, biologiste et naturaliste américain, fut l’un des premiers à observer les loups en milieu naturel en Alaska, dans les années 1940. Il conclut que les membres d’une même meute se montrent très amicaux les uns envers les autres.
Selon L. David Mech, zoologiste américain et référence mondiale sur l’étude du loup, les jeunes quittent la meute dès 10 mois, mais certains restent jusqu’à 4,5 ans. Une meute peut atteindre une quarantaine d’individus (même si, en moyenne, elles comptent 10 à 12 loups aux États-Unis).
Mais alors, comment et pourquoi les loups parviennent-ils à coexister en groupe, parfois aussi nombreux, en maintenant des relations harmonieuses ?
On pourrait supposer que vivre ensemble facilite l’accès à la nourriture, en permettant de chasser de plus grosses proies. Pourtant, les études montrent l’inverse :
- Une meute plus grande signifie moins de nourriture par individu.
- Par exemple, 2 loups peuvent consommer jusqu’à 8-9 kg de viande par jour,
- 4 loups en mangent environ 7 kg,
- Mais dans une meute de 16 loups, chaque individu ne reçoit en moyenne que 5 kg.
L. D. Mech écrit à ce sujet :
« Mettre ce surplus à la disposition de la famille est l’approche la plus efficace que les loups adultes peuvent adopter, sauf à le manger ou le cacher. Les parents permettent à leurs petits de rester avec eux tant que l’approvisionnement alimentaire est suffisant pour plus d’individus qu’eux-mêmes. »
En d’autres termes, la meute ne fonctionne que si chacun prend soin des autres.
L’élevage collectif : un pilier de la survie des loups
Le loup fait partie des rares espèces ayant adopté l’élevage collectif comme stratégie de survie.
👉 Tous les membres de la meute participent au soin des louveteaux :
- Ils creusent la tanière,
- Régurgitent de la nourriture aux plus jeunes,
- Jouent avec eux pour leur apprendre les règles de la meute.
D’après Mech, même les jeunes d’un an régurgitent de la nourriture aux louveteaux.
- Dans 80 % des cas, la nourriture vient des adultes.
- Dans 14 % des cas, elle vient des mères.
- Et dans 6 % des cas, d’autres membres de la meute.
Les louveteaux sollicitent ce nourrissage en léchant le museau des adultes. Ce geste, au-delà de la simple alimentation, enseigne un principe fondamental :
🟢 Le respect s’apprend par le renforcement positif :
« Si tu demandes gentiment, tu reçois. »
Ce rituel de soumission active devient un apprentissage social clé. Il signifie l’absence d’intention de domination et favorise l’acceptation au sein de la meute. Plus un jeune loup adopte cette attitude, plus il a de chances d’être nourri ou d’être toléré à proximité d’une carcasse en période de disette.
Le jeu comme outil de cohésion et d’apprentissage
Dès qu’ils en sont capables, les louveteaux commencent à jouer – d’abord entre eux, puis avec les adultes.
Ce n’est pas anodin. Le jeu est un outil clé pour établir et stabiliser (relativement) les liens hiérarchiques.
Des études récentes montrent une corrélation forte entre deux types de jeux et la structure sociale des loups :
1️⃣ Les jeux « compétitifs » (bagarres, poursuites, simulations de morsure) permettent de tester les forces et faiblesses des partenaires. Ils clarifient le rang hiérarchique, réduisant ainsi les conflits agressifs réels.
2️⃣ Les jeux « détendus » (assis ou couchés, sans posture dominante) se produisent surtout entre loups ayant des liens affectifs forts.
Fait intéressant :
🔹 Les adultes jouent surtout aux jeux « compétitifs » avec les louveteaux, en instaurant des règles strictes (les petits doivent toujours céder).
🔹 Entre louveteaux d’une même portée, les jeux compétitifs et détendus sont équilibrés.
Les adultes ne tolèrent aucun comportement de domination chez un jeune tant que les règles ne sont pas établies. Une fois cela acquis, même le chef de meute peut accepter de se laisser « dominer »… mais uniquement dans un jeu.
Protéger ses proches, même en danger
Lors de conflits entre meutes, il a été observé que les loups aident activement un membre de leur famille en difficulté, quitte à s’exposer eux-mêmes au danger.
La chercheuse Kira Cassidy (Yellowstone Wolf Project) rapporte un cas frappant :
« Deux loups de la meute A et trois loups de la meute B s’affrontent. À la dernière seconde, la meute A se sépare. La meute B attaque une femelle.
Un mâle d’un an de la meute A intervient, attaquant un des assaillants. La meute B le poursuit, le mord, puis retourne attaquer la femelle.
Le jeune mâle attaque à nouveau pour détourner leur attention. Cette fois, la femelle réussit à s’enfuir en traversant une rivière. Le mâle fuit à son tour. La meute B abandonne la poursuite. »
Ce comportement a été observé dans 17,6 % des conflits entre meutes. Il concerne souvent des parents, des frères et sœurs, ou des couples reproducteurs.
L’altruisme chez les loups : mythe ou réalité ?
D’un point de vue éthologique, l’altruisme est défini comme un comportement qui augmente les chances de survie des autres, au détriment de soi-même.
Mais les observations de Cassidy ne cadrent pas totalement avec cette définition. Pourquoi ?
Le primatologue Frans de Waal (2007, « Putting the Altruism Back into Altruism ») propose une autre lecture :
« Il y a maintenant de plus en plus de preuves que le cerveau est câblé pour la connexion sociale. L’empathie pourrait être la principale motivation de l’altruisme, plutôt que de simples calculs de bénéfices futurs. »
En d’autres termes, les loups n’aident pas uniquement par intérêt. L’altruisme peut être spontané, motivé par les émotions et l’attachement.
Ce que les loups nous enseignent
Chez les loups, prendre soin des autres est une stratégie gagnant-gagnant :
🟢 Participer au nourrissage.
🟢 Enseigner les règles aux plus jeunes.
🟢 Protéger un membre de la meute en danger.
C’est ainsi que la solidarité devient un moteur de survie, et que la confiance mutuelle garantit la stabilité du groupe.
Et chez nous ?
Si les loups pouvaient parler, ils nous diraient :
✅ Si vous attendez de l’altruisme de quelqu’un, assurez-vous que vous partagez un objectif commun.
✅ Investissez dans la relation : la confiance mutuelle ne se décrète pas, elle se construit.
✅ Posez des actes concrets. Communiquez. Faites vos preuves.
Et surtout…
⚠️ Savez-vous à qui personne ne régurgite jamais de la nourriture ?
👉 Au chef de meute.
Wolf Project, 2021
Image : Two Wolves, Mark Adlington