Ça se passe en Autriche… Article publié le 11 septembre 2017 par Nicolas Santolaria dans Le Monde.

Le management « Parle avec les loups »

Nicolas Santolaria

Le concept autrichien de « wolf management » entend permettre aux salariés de révéler le Machiavel d’open space qui sommeille en eux.

D’après un proverbe connu, l’homme serait un loup pour l’homme, y compris lorsqu’il porte un costume-cravate. Si cette assertion reste discutable, certains ont décidé de l’ériger en outil de stimulation des équipes, puisant dans cette sauvagerie supposée les ressources nécessaires à la marche en avant de l’entreprise.

Mâle alpha

Ainsi est née, en Autriche, l’idée d’un ­séminaire intitulé « Parle avec les loups », s’adressant aux cadres que la vie de ­bureau aurait exagérément policés. Après s’être acquittés de 650 euros par tête, les stagiaires, pas vraiment rassurés, sont invités à s’accroupir face à la gueule impressionnante des pensionnaires du centre d’Ernstbrunn, proche de Vienne. Ces loups gris, qui ne ­connaissent pas votre position habituelle dans l’organigramme, vous font alors passer un test d’évaluation selon leurs propres critères, parfois même au moyen de léchouilles intimidantes. Si vous êtes un vrai Machiavel d’open space mais que vous transpirez à la vue d’une ­canine acérée, vous pourriez ­subir une soudaine dégringolade hiérarchique par le simple regard méprisant de cet examinateur velu.

Si vous êtes persuadé que votre animal intérieur est une biche claudicante, passez votre chemin.

Comme le relatait récemment un article de l’AFP, ce programme de wolf management mis au point par Kurt Kotrschal et Ian McGarry aurait pour fonction d’améliorer votre présence corporelle et de vous re­connecter à votre « animal intérieur ». A une époque où le principe même de hiérarchie est fortement contesté, le wolf management entend faire coïncider une position de pouvoir dominante et des attitudes ad hoc de mâle alpha. Dans ce contexte de comportementalisme littéral, si vous êtes persuadé que votre animal intérieur est une ­biche claudicante, passez votre chemin.

Fosse aux crocodiles

Mais au fait, pourquoi les loups ? ­Puisqu’il s’agit de travailler sur l’aura animale des cadres, pourquoi ne pas expédier ces derniers dans une fosse aux crocodiles, histoire de leur apprendre à ­tenir tous ces sacs à main sur pattes en respect ? Premièrement, il est sans doute plus facile d’arrêter un loup ­malingre qui vous aura confondu avec son repas ­Sodexo que de mettre un terme à l’attaque d’un saurien déchaîné. Ensuite, le loup étant un animal collaboratif, il tiendra ici non seulement le rôle de coach en prestance animale, mais également celui de métaphore. En effet, son mode de vie, marqué par une sociabilité sanguinaire, constitue un support idéal pour rappeler au cadre ce qu’on attend de lui, ce grand écart presque ­insoutenable entre la dynamique col­laborative (on se serre les coudes) et la prédation (on va tous les bouffer).

Par ce pouvoir de réconciliation symbolique des contraires, le loup est devenu un animal en vogue. Figure emblématique d’un nouveau totémisme corporate, il confirme la théorie du philosophe Bruno Latour selon laquelle nous n’avons jamais été modernes. Derrière les façades vitrées des grandes multi­nationales perdurerait en réalité quelque chose de beaucoup plus primitif, pas si loin finalement du blason à tête de loup que la famille Stark arbore dans Game of Thrones.